La guerre d’Espagne, la deuxième République espagnole et les Brigades internationales.


Déclenché d’une manière brutale, mais sans surprise compte tenu du contexte politique très dégradé du pays, le pronunciamiento prend date le 18 juillet 1936, après que la veille, aux Canaries et au Maroc espagnol, la grande majorité des militaires de profession (excepté la marine légaliste) ait pris le contrôle de la situation.

 

Ce golpe, comme disent les Espagnols, est l’addition d’un fascisme intérieur et d’un fascisme international animé par l’Italie et l’Allemagne. Il est considéré, par nombre d’historiens, comme le début de la seconde guerre mondiale.

 

Ce coup d’Etat est, dès sa préparation, fomenté par un mouvement de pensée conservateur et médiéval, animé par la haine de la République, et par la même occasion par la haine du peuple. C’est un mélange de « fascisme » dogmatique, de croisade religieuse et de nationalisme borné. La phalange, la hiérarchie catholique (excepté celle du pays basque), les gros propriétaires terriens, la grande bourgeoisie citadine, les monarchistes et les Carlistes sont rassemblés, politiquement, dans un front commun qui est rapidement placé sous la poigne d’un caudillo, le général Franco.

 

Cette force politique, séditieuse et violente, accrochée à ses privilèges, s’appuie sur une armée de métier forte de quelques centaines de milliers d’hommes, armée au sein de laquelle figurent 100 000 régulares du Maroc espagnol, le tercio (légion étrangère) les réquétés navarrais, auxquels s’ajoutent 60 000 soldats italiens lourdement motorisés 35 000 allemands de la Légion Condor spécialisés dans l’aviation et l’armement mécanique, et des unités d’intégristes portugais et irlandais.

 

C’est « l’Espagne noire », commandée par des officiers sanguinaires : Mola, Queipo de Llano, Varela, Yagüe, Aranda, Millan Astray…

 

Face à cette horde factieuse, la République va se battre avec cette énergie insoupçonnée qu’a toujours caractérisé, dans l’Histoire, la résistance des peuples face à la barbarie.

 

La guerre d’Espagne n’a pas été, comme le prétendent certains historiens (désireux de calquer la réalité à leurs convictions politiques), une confrontation entre le communisme et le fascisme. La défense de la République a correspondu, dans l’esprit de l’immense majorité, à la défense de la légalité institutionnelle contre une idéologie menaçant les libertés, le citoyen, l’homme.

 

Dès le départ, les forces loyales se sont trouvées dans une situation défavorable relevant de plusieurs causes. D’abord la politique de non-intervention, appliquée par la France (pourtant elle-même dirigée par un Front populaire) et par l’Angleterre (devenue rapidement hostile à la République sous l’égide de son gouvernement conservateur). Politique de non-intervention suivie par la fermeture des frontières ; situation défavorable consécutive à un potentiel professionnel militaire réduit à 15% ; situation défavorable par l’émergence de milices, certes courageuses, mais pas du tout entraînées à la guerre moderne ; situation défavorable minée par de graves et funestes querelles internes ; situation défavorable liée à l’infériorité dans la puissance de l’armement ; et enfin et surtout à cause de la puissante intervention étrangère.

 

Le début du conflit est calamiteux pour les républicains. De juillet à octobre 1936 les défaites sont sévères et l’avancée des franquistes s’avère rapide.

 

Un  coup d’arrêt à cette progression est donné dès le mois d’octobre de la même année sous la double influence de deux évènements qui vont modifier momentanément la situation sur le terrain

-         d’une part la naissance de l’armée populaire (el ejército popular)  organisée, structurée, disciplinée, efficace, avec certains chefs sortis du rang (Lister, Modesto, El Campesino…)

-         d’autre part l’arrivée échelonnée d’un contingent d’environ 35.000 volontaires venus d’une cinquantaine de pays.

 

Rassemblés à Albacete et soldats regroupées en six brigades elles-mêmes divisées en bataillons aux nom prestigieux : Commune de Paris, la Marseillaise, 6 février, Garibaldi, Dombrovsky, Abraham, Lincoln, Thaelman, Edgar André…, ces unités sont très rapidement intégrées dans les dispositifs de l’armée républicaine. Et ces brigadistes, souvent engagés dans les parties les plus sensibles du front, seront un exemple réconfortant pour les combattants. Soldats disciplinés, aguerris, dévoués jusqu’au sacrifice suprême.

 

Ce sont ces conditions qui feront que Madrid sera sauvée vers la fin de 1936 et dans le tout début de l’année 37. Ce sont ces conditions qui maintiendront la capitale dans le camp légaliste jusqu’en mars 1939. Et ce contexte aura été possible grâce –après de graves dissensions internes- à l’ensemble des forces politiques qui se retrouvent, après mars 1937, regroupées dans les différents gouvernements d’union.

 

Dans ces heures difficiles et tragiques, agressés par un ennemi hyper armé et criminel

 –massacres de masse de dizaines de milliers de soldats et de civils- l’« ejército pupular » va se confronter (parfois gagner mais souvent subir) à de terribles batailles parmi lesquelles nous pouvons citer : Madrid, Jarama, Guadalajara, Belchite, Brunete, Saragosse, Oviedo, Irun, Teruel, l’Ebre… Lors de ces confrontations, les Brigades internationales seront présentes et subiront d’énormes pertes.

 

Malgré une défense acharnée et des stratégies audacieuses, le territoire républicain se réduit peu à peu. Après la dure et meurtrière offensive, non réussie, de l’Ebre et l’été 1938, la situation s’annonce désespérée. C’est, dès octobre, la « Retirada » vers la France. A cette époque, et à la demande du gouvernement espagnol désireux de manifester un geste d’apaisement intérieur par ailleurs inutile, les brigadistes internationaux quitteront l’Espagne après un émouvant défilé dans la capitale de la Catalogne, manifestation au cours de laquelle Dolorès Ibarruri, la Pasionaria (Secrétaire Générale du Parti Communiste), déclarera entre autres :

« …Vous pouvez partir avec orgueil. Vous êtes l’Histoire, vous êtes la légende. Vous êtes l’exemple héroïque de la solidarité et de l’universalité de la démocratie ».

 

Après la chute de Barcelone et suite à un complot contre la République qui associe une poignée d’anarchistes à des socialistes capitulards (général Miaja et colonel Casado), Madrid est livrée, sans combattre, à l’ennemi. Le courageux et tenace gouvernement d’union républicaine –à direction socialiste ininterrompue- se réfugie à Paris. Après un court exil, il finira pas s’auto dissoudre. Pour l’Humanité, un drame semble se refermer alors qu’un autre se dessine dans le droit fil du premier, plus élargi, plus apocalyptique.

 

Le 27 janvier 1939, alors que près de 400.000 soldats républicains luttent toujours dans la souffrance, adossés à la Méditerranée, au centre-sud de la péninsule, le gouvernement français reconnaît officiellement le régime du général Franco. Une imposture, une honte indélébile pour les dirigeants qui ont pour nom Daladier, Herriot, Chautemps…, le 1er avril 1939, Franco fait son entrée dans Madrid. Le pape félicite officiellement le Caudillo. La croisade est terminée. La répression de masse peut se poursuivre, désormais en toute discrétion.

 

La guerre d’Espagne, c’est environ 600.000 morts et 450.000 réfugiés, la plupart en France où ils seront reclus dans des camps d’internement sordides et humiliants : Gurs, Argelès sur mer, Barcarès, Le Vernet, Saint Cyprien, Agde mais aussi Djelfa, Boghari, Colomb Béchar… les autres, réfugiés bien accueillis, se rendront essentiellement dans des pays latino-américains..

 

Sur les 35.000 combattants étrangers venus d’une cinquantaine de pays, 10.000 (donnée globale) sont morts. Sur les 9.000 français (et 600 arabo-berbères et européens venus d’Algérie) 3000 environ ont payé de leur vie leur engagement. L’immense majorité des survivants ont été blessés et pour certains d’entre eux plusieurs fois.

 

Le 25 mars 1938, alors que la 14ème brigade est en position à Miraflores, une balle fauche Oussid’Houm, chef de bataillon. Il est remplacé par son ami d’Algérie et camarade de Parti (PC algérien) René Cazala. Grièvement bléssé durant la bataille de l’Ebre, ce dernier se suicide pour ne pas tomber aux mains de l’ennemi. Avec 80 pour cent de pertes, le bataillon est reconstitué sous le commandement de Rol qui sera, lui aussi, tué et qui donnera un patronyme clandestin à son camarade de la Résistance Tanguy (d’où Rol-Tanguy), et lorsque quelques années plus tard, ce dernier animera le soulèvement de la capitale, la colonne du capitaine Dronne de la 2ème DB (140 espagnols sur 160 soldats) pénètrera la première au cœur de Paris, à l’Hôtel de Ville, dans des engins blindés portant pour noms les héroïques batailles d’Espagne : Madrid, Guadalajara, Teruel, Brunete, Belchite, Ebre…, engins à l’intérieur desquels s’entend la langue de Federico García Lorca

 

En exil, les républicains espagnols et les ex-brigadistes internationalistes, ce sera dès 1939 :

-         la participation, durant la guerre, aux régiments de marche français jusqu’à l’armistice de juin 1940.

-         L’engagement dans la 13ème demi-brigade de la légion étrangère, à Narvik (Norvège) juin 40, à Koufra, à Bir Hakeim (Libye) juin 42, et jusqu’à la capitulation nazie.

-         La disparition de plus de 8.000 d’entre eux au camp d’extermination de Mathausen.

-         La participation à la Résistance française. En données chiffrées cumulées, 40.000 d’entre eux ont combattu dans 37 départements du sud-ouest et dans les Alpes : sur le  plateau des Glières, avec la main d’œuvre immigrée, à l’intérieur du groupe Manouchian, dans la libération de Toulouse et des département pyrénéens, avec la première arrivée dans Paris de la compagnie blindée du capitaine Dronne de la 2ème DB. C’est aussi l’épopée des anciens « internationalistes » nombreux dans la résistance, parmi lesquels Rol-Tanguy, Fabien, Epstein, Rebière, London, Boczov, Laban… et des centaines, de centaines d’autres.

On estime à 25.000 le nombre d’espagnols victimes de la deuxième guerre mondiale

 

C’est enfin la dramatique, désespérée et sanglante tentative de reconquête, par des résistants et militants exilés, qui s’exprime dans le Val d’Aran, en octobre 1944, alors que déjà il est apparu que, sur le front occidental, les alliés n’interviendront pas contre le pouvoir illégitime de Francisco Franco et les forces occultes qui le soutiennent.

 

Des moments héroïques, souvent tragiques, méconnus ou peu connus, toujours insuffisamment honorés.

 

On pourrait épiloguer durant des heures sur le prestige de la République espagnole et sur l’épopée des brigades internationales

 

Dans cet hommage, il ne s’agit pas de sanctifier un passé qui se serait momifié. L’important est de se référer, d’une manière vivante, à une tranche d’Histoire qui a marqué le XXème siècle et qui peut servir d’exemple aux générations présentes et à venir dans les luttes nouvelles, justes et solidaires qu’elles ont ou qu’elles auront à mener, ici comme ailleurs.

 

 

 

                                                             Georges GONZALEZ – Octobre 2010.