Intervention de Jean-Claude LEFORT dans le cimetière Raspail Bagnolet, le 13 juin 2009

Chers amis,

En décidant d’apposer dans ce cimetière de Bagnolet cette plaque, désormais présente à jamais, à la mémoire et en honneur des 74 bagnoletais qui sont partis combattre dès 1936 dans les « Brigades internationales », ce n’est pas seulement l’histoire qui entre dans ce lieu. C’est Bagnolet qui entre dans l’histoire.

On les a appelés les « Volontaires de la liberté ». On a dit d’eux qu’ils s’étaient « levés avant le jour ». Eux disaient « Mieux vaut mourir que vivre à genoux ». Et ils apprirent l’espagnol. Ils criaient en effet « No Pasaran ! »

 Ils étaient 30.000 venus de plus de 50 pays. Parmi eux, 9.000 étaient français. Ils ont tout donné pour la liberté, jusqu’à leur dernière goutte de sang s’il le fallait. Ils sont partis volontairement, laissant tout derrière eux. Ils sont allés dans ce pays, derrière les Pyrénées, qu’ils ne connaissaient pas. Ils ont répondu « Présents ! » à l’appel de la République espagnole et du Front populaire légalement élu. La République était en effet, toute seule, à face à un putsch venant d’un « quarteron de généraux », dont Franco.

Mais ce putsch n’était pas qu’interne à l’Espagne. Il était d’emblée soutenu par Hitler et Mussolini. Et face à ce putsch militaire, murement nourri à l’avance et soutenu par l’étranger fasciste, la France et la Grande-Bretagne déclaraient la funeste politique dite de « non-intervention ». Pas d’autre choix alors, pour l’Espagne républicaine, que de faire appel à des volontaires internationaux.

D’autant que ce n’était pas seulement la démocratie qui était en cause en Espagne. Il y avait plus. Beaucoup plus. Un enjeu stratégique mondial.

Il y avait l’avenir de la paix ou bien la seconde guerre mondiale au cœur de la problématique espagnole. Hitler avait déjà écrit cela noir sur blanc dans son « Mein Kampf ». 

Alors qu’à ce moment-là le Portugal était déjà entre les mains sanglantes de Salazar, l’Italie entre celles du fasciste Mussolini et l’Allemagne entre celles du dictateur sanguinaire, Hitler, pour assouvir ses visées funestes de domination de toute l’Europe, Hitler isoler la France pour l’accaparer. Il devait la rendre faible et sans base arrière pour l’envahir. Le verrou qui s’opposait à cela était l’Espagne. Il lui fallait prendre l’Espagne pour mieux prendre la France.

C’est pourquoi on dit de ces volontaires qu’ils ont vu « clair avant le jour ».

Cette épopée unique dans l’histoire contemporaine, a pourtant subi un curieux sort. Ils avaient raison. La vie leur a donné raison. Et pourtant ce furent les « Oubliés de l’histoire ». Une page inexistante dans les livres d’écoliers. Pire : une page arrachée à ne jamais avoir été écrite. Elle commence tout juste à l’être. Mais ils ne sont plus là…

C’est que parler de leur engagement volontaire, de leur lucidité, de leur détermination et de leur générosité, c’est souligner et c’est mettre en évidence du même coup le rôle et les responsabilités historiques inverses joués alors par les grandes puissances – dont la France – qui savaient tout autant qu’eux ce qui se jouait à Madrid.

C’est mettre à nue la responsabilité écrasante de ceux qui ont permis cette guerre mondiale par aveuglement ou par complicité.

J’ai eu le privilège et l’honneur de côtoyer amicalement et de manière complice le colonel Henri Rol-Tanguy. Combien de fois, mes oreilles en tintent encore, ne m’a-t-il pas dit : « Si la République espagnole avait été secourue il n’y aurait pas eu de seconde guerre mondiale ».

Ces « Oubliés de l’histoire », Bagnolet, elle, ne les a jamais oubliés.

Je sais, pour y avoir participé que le Maire de cette ville et son équipe ont déjà pris de multiples initiatives, dans la lignée de ses prédécesseurs, pour que les pages de ce livre d’histoire ne soient pas ignorées et cachées mais qu’au contraire elles soient connues et portées en pleine lumière. C’est à leur honneur.

Alors que Bagnolet immortalise en ce jour le combat des Brigadistes, « des siens » de brigadistes qui furent si nombreux dans cette ville, je veux remercier solennellement le Maire et toute son équipe. Ceci au nom de notre association, l’ACER, qui perpétue, et ceci à la demande expresse de Henri Rol-Tanguy, le combat et la mémoire des Brigades internationales.

Au nom de notre association je vous remercie sincèrement Monsieur le Maire et tous ceux qui, à vos côtés – disparus trop tôt ou toujours avec nous fort heureusement – ont œuvré en ce sens.

Bagnolet, ma ville natale, entre ainsi dans l’histoire, je l’ai dit, à faire partie de celles et de ceux qui n’arrachent pas les pages de la vie et qui remettent l’histoire et le combat de ces « Volontaires de la liberté » à leur juste place – une place qu’ils auraient jamais du manquer d’avoir, n’étaient les raisons majeures que j’évoquais précédemment.

Mais aujourd’hui Bagnolet va plus loin : cette ville immortalise leurs engagements leurs combats.

C’est aussi un acte courageux que je salue. Mais c’est aussi un acte légal pour qui ne saurait pas.

En effet, dès après la seconde guerre mondiale, devant l’évidence des faits rapidement évoqués ici, le titre « d’Ancien combattant » avait été demandé, et ceci sans relâche, pour ces Brigadistes.

Jamais cela ne leur a été accordé.

Et c’est aussi un des mérites de notre association que d’avoir repris ce combat qui devait enfin déboucher avec le Président Jacques Chirac qui à notre demande, à l’occasion du transfert des Cendres de Malraux au Panthéon – André Malraux qui fut l’un des tous premiers à prendre parti pour l’Espagne –, décida de leur accorder le titre « d’Ancien combattant ». C’était en octobre 1996.

60 ans après le début de leur engagement. 60 ans !   

De sorte que ceux dont nous parlons aujourd’hui qui en défendant Madrid défendaient la France, sont aussi « Morts pour la France ».

Aujourd’hui c’est aussi cela, Monsieur le Maire, Chers amis, que nous marquons et que nous célébrons. Et qui sera à jamais présent ici.

Oui, ces 74 bagnoletais qui sont allés combattre en Espagne sont aussi « Morts pour la France », pour sa liberté, pour la paix. Avec respect je m’incline devant leur mémoire.

Honneur à eux !

Honneur aux 74 Volontaires de la liberté de Bagnolet !

Honneur aux Brigadistes !