Cimetière parisien d’IVRY – 19/2/2012

Discours de Claire Rol-Tanguy

Chers Amis,

Je veux tout d’abord remercier l’ANACR de donner l’occasion à l’ACER, -les Amis des Combattants en Espagne Républicaine- association héritière de celle des combattants volontaires en Espagne Républicaine, de prendre la parole à cette manifestation du souvenir pour évoquer plus particulièrement ces étrangers, résistants sur le sol de France, et qui étaient partis combattre en Espagne Républicaine.

 

Les biographies de ceux qui sont tombés pendant les années noires ne sont pas toujours très fournies, leurs conditions de vie militante ne permettaient pas de laisser beaucoup de jalons pour retracer leur parcours.


Souvent, leur engagement venait de loin. Des Polonais s’étaient engagés très jeunes dans le combat révolutionnaire. Ils fuiront leur pays, traqués par la police politique. Les Italiens, puis les Allemands connaitront la réalité d’un régime fasciste, et il ne leur restera bien souvent que le choix de l’exil. La France est alors pour beaucoup terre d’accueil ;  malgré la honte des camps d’internement et les persécutions de la police de Vichy, la France restera quand même le pays où ils lutteront, parfois jusqu’au dernier souffle, dans une solidarité fraternelle  aux côtés de leurs compagnons français.

 

L’agression de la République espagnole sera l’occasion pour ces jeunes révolutionnaires de prendre une part active au combat contre le fascisme et ils s’y engageront corps et âme. Dans les Brigades Internationales,  ils participeront aux côtés de l’armée républicaine espagnole comme troupes de choc dans  toutes les grandes batailles pour sauver la République, ils seront reconnus pour leur courage au combat, leur moral combatif, leur conscience politique élevée. Si les volontaires français sont de loin les plus nombreux, les Polonais sont 3000, comme les Italiens, les Allemands 2200, les Tchèques 1000 et les Autrichiens 900, les Hongrois 500, les Roumains/Yougloslaves/Bulgares et Grecs environ 2100.

 

Malgré la défaite républicaine, l’internement dans les camps français dans des conditions inhumaines, la déroute de l’armée française et l’entrée de l’armée allemande à Paris,  leur détermination demeurera intacte : ils connaissaient le fascisme et ses méthodes, et savaient qu’il n’y avait pas d’autre choix de que l’affronter malgré l’état de débâche matérielle et morale de la France en 1940. Les anciens des BI et les Espagnols exilés de l’armée républicaine se retrouveront nombreux pour poursuivre le combat antifasciste sur le sol français.

 

Ainsi, ils seront parmi les premiers, aux côtés de militants politiques et syndicaux,   à tenir bon dans la tourmente, à ne pas céder au défaitisme, et à commencer à s’organiser.

 

A ce moment, être un ancien combattant des BI est une qualité recherchée par le Parti Communiste Français, car outre le maniement des armes, leur engagement volontaire dans une guerre loin de leur pays contre le fascisme international, la résistance dont ils ont fait preuve pendant leur internement en France pour ceux qui ne pouvaient rentrer chez eux, les conditions dans lesquelles ils ont réussi à rejoindre le combat clandestin en font des hommes sûrs, solides, efficaces. Et il n’y  a pas beaucoup d’hommes de cette trempe au tout début de la Résistance.

 

Le réseau des anciens des B.I. se met à fonctionner pour rechercher tous ceux qui acceptent ces nouvelles formes du combat clandestin, très différentes de celle de la guerre. On est beaucoup plus seul, le danger est partout, et quand on est étranger, c’est encore plus compliqué, mais certains ont déjà connu ce travail de l’ombre, en Roumanie, en Hongrie, en Pologne.

 

Quand le PCF décide de passer à la lutte armée à l’été 41, le 1er triangle de direction de l’interrégion parisienne sera constituée de 3 anciens de l’O.S. (Organisation Spéciale) : Raymond LOSSERAND, conseiller municipal de Paris,  Gaston CARRE, ancien des BI commandant du groupe d’artillerie Anna-Pauker, de Henri TANGUY, ancien commissaire politique de la 14e Brigade.

 

A la tête des GSD – groupes de sabotage et de destruction- c’est aussi un ancien des BI, Polonais, Joseph Epstein que l’on retrouve.

 

La composition du groupe Manouchian est à cet égard caractéristique puisqu’il y a plusieurs anciens des BI, qui sont passés par les camps de Gurs, d’Argelès ou encore Saint-Cyprien :

Le roumain Francis BOCZOR, l’espagnol Celestino ALFONSO, les Polonais Jonas GEDULFIG, Slama GRZYWACZ, Stanislas KUBACKI.

 

Sans nul doute, leur passé de combattants antifascistes en Espagne était un exemple pour les jeunes qui refusait la soumission et voulaient lutter contre l’occupant. Leur prestige était grand et leurs personnalités, au travers des quelques témoignages que nous avons,  certainement très fortes. C’est pourquoi les jeunes des MOI, puis des FTP-MOI, particulièrement motivés  à cause du fascisme qui avait chassé leur famille de leur pays, de l’antisémitisme, les reconnaîtront comme leurs chefs et s’engageront totalement dans des actions périlleuses.

Henri Rol-Tanguy dira « que les groupes armés de la MOI ont été en France ce que furent les Brigades en Espagne : des groupes de choc. »

 

Je m’attarderai sur la figure de Francis BOCZOR, de son vrai nom Francis WOLF, issu d’une famille juive roumaine aisée, et dont les études d’ingénieur- chimiste en feront un spécialiste des explosifs. Engagé dans le mouvement révolutionnaire de son pays, il part à pied  pour se rendre en Espagne aider la République agressée. Interné à Argelès et Gurs, déchu de sa nationalité roumaine, il s’évade du camp d’Argelès. Il arrive à Paris et s’engage dans une formation MOI au sein de l’OS. Il en devient le responsable fin 41 et lors de la formation des premiers groupes FTP, il devient le chef du détachement parisien FTP-MOI qui jouira d’une grande autonomie dans l’organisation de ses actions. Il fonde et dirige le fameux détachement des dérailleurs qui fera un travail de destruction formidable.

 

Voici le portrait qu’en dresse son agent de liaison Charlotte Gruia : « un communiste courageux, réfléchi et profondément humain. Un homme modeste, invariablement calme, parlant peu, concentrant toute son énergie dans la lutte armée contre les forces militaires et répressives du nazisme… De tous les partisans, il fut le plus tenace et le plus minutieux dans la préparation de l’action. Il était capable de passer des nuits entières pour mettre au point le mécanisme d’une machine infernale, ou convertir une mine anti-char en bombe à retardement… Il était soucieux de protéger la vie des hommes placés sous ses ordres et leur portait une affection fraternelle. »

 

Le manque d’armes était criant, aussi sa formation de chimiste, et  l’aide de plusieurs manuels lui seront très utile pour fabriquer des grenades avec son ami roumain Mihai PATRICIU  et mettre au point un modèle de mine  pour faire dérailler des trains, dont les  groupes armés français profiteront également.

 

Il n’y a pas que les combattants des Brigades Internationales qui seront utiles à la Résistance, il y a aussi ceux qui ont aidé la République espagnole soit dans les services administratifs des Brigades, soit dans les services sanitaires.

 

Là aussi, les convictions politiques qui les avaient portés à s’investir en Espagne, pour l’Espagne, sont de puissants leviers pour s’engager dans la résistance française. On connaît le rôle de Lise LONDON, et aussi celui des Docteurs ROUQUES et CHRETIEN qui organiseront les services de santé de la résistance.

 

 

 

Hors de Paris, des anciens des BI seront aussi à la pointe de la résistance, parmi lesquels on peut citer :

-         Dans la région lyonnaise, ancien officier, Joseph KUTIN, juif d’origine polonaise, est chargé de former un groupe FTP-MOI qui deviendra le groupe « Carmagnole » à Lyon, et « Liberté » à Grenoble

-         à Toulouse, avec la « 35e Brigade » de Marcel LANGER, ex-brigadiste de la 35e Division de mitrailleurs, qui rayonne sur la région Midi-Pyrénées, région qui sera d’ailleurs libérée en grande partie par des Espagnols

-         En Limousin,  Jean CHAINTRON, ancien commissaire aux Brigades, qui dirige un maquis

-         En CORSE,  François VITTORI, ex- commissaire politique de la 14e BI, qui chasse les Chemises Noires de l’île en août 1943

-         En LANGUEDOC-ROUSSILLON,  Sabatier et le maquis « Henri Barbusse »

-         En LOZERE, l’un des fondateurs du maquis de Bonnecombe est un allemand ancien brigadiste, Otto   KUHNE ; il devient en 1944 le responsable militaire des FTP-MOI pour la Lozère, le Gard et l’Ardèche et participe aux combats de la Libération 

-         A MARSEILLE,  la compagnie Marat comporte plusieurs anciens brigadistes de diverses nationalités,

-         En zone sud, Liubomir Illitch, dit Conti, d’origine croate, est commandant FTP-MOI, puis membre du Comité militaire national de la Libération

 

L’ancien brigadiste tchèque Arthur LONDON organise, avec d’autres communistes germanophones, le travail parmi les troupes allemandes.

 

D’autres anciens brigadistes font le choix, ou les circonstances les y mènent, de rejoindre les Forces Françaises Libres.

 

On connaît  les retrouvailles en 1944 des soldats républicains espagnols de la 2e DB avec leurs frères d’armes parisiens, français et étrangers, dont les anciens brigadistes qui avaient survécu à la terrible répression allemande ; ensemble, ils étaient les plus anciens combattants de la 2ème guerre mondiale contre le fascisme international, et certains allaient encore se battre  jusqu’au cœur de l’Allemagne pour en finir une fois pour toutes avec le nazisme.

 

 

 

 

 

 

Chers Amis,

 

Nous sommes des passeurs de mémoire, et chaque génération a sa propre responsabilité pour que ces histoires exemplaires ne tombent pas dans l’oubli, l’indifférence, ou même la récupération idéologique. Responsables politiques, enseignants, associations mémorielles, nous avons un devoir de mémoire pour faire  connaître et vivre au présent les valeurs portées par ces combattants de la liberté.

 

Notre jeunesse, quoiqu’on en dise, peut s’y intéresser si la filiation avec ce qu’elle vit aujourd’hui est faite, si on va à sa rencontre pour lui parler de ces combattants en travaillant les formes du récit pour mieux les toucher.  Le nom du groupe Manouchian est parmi les plus connus de l’histoire de la Résistance : creusons ce sillon, il est fécond car à travers le parcours des hommes de ce groupe, Français et étrangers, bien des choses peuvent parler aux jeunes générations.

 

Ce qu’elles vivent aujourd’hui –la précarité sociale, l’injustice, la confiscation de la démocratie, la montée de l’intolérance et des violences- la jeunesse des années 30 les a aussi connues. La montée du populisme, la recherche du bouc-émissaire comme solution aux difficultés des peuples restent malheureusement de vieilles  recettes toujours d’actualité.

Notre vieille Europe n’est pas à l’abri d’une grave rechute de l’intolérance et du conservatisme, et ses instances institutionnelles ont des réactions bien molles devant les résurgences du fascisme en Hongrie et aux Pays-Bas, alors qu’elles ne trouvent pas de mots assez durs pour fustiger la population grecque, victime d’une régression sociale impitoyable.

Certains discours de la droite française sur la famille, le travail, les étrangers ont des relents pétainistes.

 

Si les conditions historiques ne sont jamais identiques, la vigilance s’impose et nous devons la faire absolument partager.

 

Pour être efficaces dans ce combat difficile, les jeunes générations doivent connaître leur passé si l’on veut que, nourries de l’expérience de leurs aînés, elles  inventent des formes inédites de lutte dans le combat  incessant pour le progrès social et la démocratie.

 

Claire Rol-Tanguy –

19/2/2012