Image 

Dans l’Humanité du 20 septembre 2012

 

La mort de Santiago Carrillo, une figure de l’Espagne

 

« Tous à plat ventre et vite ». Le 23 février 1981, en début de soirée, le colonel fasciste Antonio Tejero venait de pénétrer dans le Congrès des députés à Madrid lorsqu’il lançait depuis la tribune cette menace accompagnée de quelques coups de feu. Santiago Carrillo, le Premier ministre Adolfo Suarez, le ministre de la Défense et des députés communistes  ne bougeaient pas de leurs places. Carrillo allumait une cigarette, fixait le putschiste sans broncher. Il nous dira plus tard : « Je savais que ce fou furieux me réserverait sa première balle. J’avais décidé comme quelques autres de refuser la honte de se coucher devant un tel homme et ce qu’il représentait : la dictature. »

 Santiago Carrillo et l’Espagne en pleine « transition démocratique », après tant d’années de franquisme, allaient surmonter la tentative de coup d’Etat après l’intervention télévisée du roi et alors qu’une colonne de blindés s’avançait sur Madrid. Santiago Carrillo, comme il l’avait démontré durant toute sa vie de combattant républicain, de responsable politique clandestin, était un homme courageux. Il vient de mourir à l’âge de 97 ans à Madrid. Jusqu’à la fin de sa vie, celui qui après avoir été dirigeant des jeunes socialistes, puis militant communiste avant d’occuper la fonction de secrétaire général du parti communiste d’Espagne est resté une personnalité largement respectée et appréciée par ses anciens camarades et aussi par ses adversaires civilisés. Il y a peu encore, Santiago Carrillo assurait des chroniques radio et dans la presse écrite. Avec  la même finesse d’analyse que celle qui a marqué toutes ses activités pendant une vie bien remplie.

Il avait quitté le PCE dans de mauvais termes avec nombre de ses camarades qui le rendaient injustement responsable de la défaite électorale de 1982. Il avait été mis en dehors du parti, sans jamais rompre cependant le lien qui l’unissait au PCE, sans cacher ses différences. Avec le temps, les rancœurs ont laissé place à l’amitié, au fil du temps « Santiago » comme on l’appelait avec tendresse en Espagne est devenu le dernier des vrais combattants antifranquistes,  pas comme ceux de la dernière heure qui occupèrent le pouvoir à partir de 1982.

Santiago était un combattant. Pendant la guerre d’Espagne, durant les longues années de clandestinité, après la mort du dictateur alors que l’Espagne, sur le fil du rasoir, tentait de sortir des ténèbres. Aujourd’hui,  des voix se font entendre pour critiquer la période dite de « transition démocratique » et l’action de Carrillo. Mais dans le contexte d’alors était-il possible d’agir autrement ? En 2012, le devoir de mémoire et la demande d’instauration de la République font vibrer des secteurs entiers mais pas encore majoritaires de la société espagnole. Les temps ont changé, pas ceux qui gouvernent actuellement en Espagne. Ils sont pour beaucoup les petits-enfants des fascistes et franquistes espagnols.

Santiago Carrillo un homme courageux, un combattant mais aussi un politique novateur. Il était avec Enrico Berlinguer et Georges Marchais à l’initiative de l’eurocommunisme.  qui allait agiter le monde communiste. Violemment combattu  par le PC soviétique et alors que, comme le déclarait Enrico Berlinguer,  le socialisme avait perdu  sa « force propulsive », l’eurocommunisme n’était-il pas une piste nouvelle qui aurait pu éviter la décomposition des partis communistes après l’effondrement des pays de l’Est et ouvrir la voie à la construction du socialisme démocratique ? Carillo, Berlinguer, Marchais y ont cru. Jusqu’au déchirement.

Santiago Carrillo aimait la France et les Français. Il portait une amitié particulière au parti communiste français qui a joué, disait-il, « un rôle irremplaçable dans notre lutte clandestine ». En 1996, dans les salons de l’ambassade de France à Madrid, il trinquait avec le colonel Rol-Tanguy et Lise London à la mémoire des Brigades internationales.  Au mois d’octobre 2011, il participait à l’inauguration de la stèle érigée à la mémoire  des Brigades internationales à l’Université de Madrid aux côtés de Cécile Rol-Tanguy et la délégation française de l’ACER.

Santiago Carrillo nous a quittés. « Il est normal à mon âge », disait-il, « que l’heure du départ s’annonce ». Puis, il allumait une éternelle cigarette et ajustait ses lunettes aux verres épais.    

José Fort